Vélocité – Le Story Point ne suffit pas !

Bien que ne n’étant pas explicitement décrite dans le Guide Scrum, la vélocité reste un élément de mesure couramment utilisé au sein des équipes mettant en œuvre le cadre Scrum.

Traditionnellement mesurée en Story Point, cette métrique est largement utilisée pour évaluer la rapidité et l’efficacité avec laquelle une équipe de développement livre ses fonctionnalités.

Cependant, cette vision traditionnelle de la vélocité, bien qu’utile, peut s’avérer réductrice et contre-productive. Dans cet article, nous explorerons pourquoi il est crucial de ne pas limiter notre compréhension de la vélocité aux seuls Story Points. Nous verrons comment cette métrique, bien que centrale, ne capture qu’une facette de la performance globale d’une équipe.

Qu’est-ce qu’un Story Point ?

Un Story Point est une unité de mesure servant à estimer l’effort, la complexité et le risque associé à la réalisation d’une « user story » (une fonctionnalité ou un besoin spécifique du produit).

Contrairement aux heures ou aux jours/homme, les Story Points sont abstraits et relatifs.

Ils permettent de comparer les demandes entre elles. Par exemple, une demande estimée à 5 Story Points est considérée comme nécessitant plus d’effort ou étant plus complexe qu’une autre estimée à 3 Story Points.

Comment mesurer en Story Point ?

Pour estimer les Story Points, de nombreuses équipes utilisent la suite de Fibonacci (0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, …). Cette suite est choisie car l’écart croissant entre les nombres reflète l’incertitude et la complexité croissantes des estimations pour des tâches plus grandes.

Processus d’Estimation

Durant les séances de planification de l’Itération (Sprint), les Développeurs évaluent chaque user story en lui attribuant un nombre de Story Point qui reflète son estimation de l’effort nécessaire, via une séance nommée « Planning Poker ». Par exemple, une tâche jugée deux fois plus complexe qu’une autre recevra un nombre de points double.

Avantages

L’utilisation de la suite de Fibonacci aide à prévenir les fausses précisions. Elle reflète le fait que plus un travail est grand ou complexe, plus il est difficile de prévoir précisément le temps nécessaire pour le compléter.

Les Story Points aident les équipes à planifier leurs sprints et à prioriser les tâches. En comprenant mieux l’effort requis pour chaque tâche, l’équipe peut mieux s’organiser et gérer son temps.

La mesure de l’effort à fournir permet également de mieux découper les activités à réaliser, afin que chacune puisse être traitée durant un Sprint.

Avec le temps, l’équipe devient plus précise dans ses estimations, ce qui améliore l’efficacité de la planification des sprints.

Pourquoi ça coince ?

La mesure en Story Point, bien que populaire dans les approches Agile, n’est pas sans inconvénients et peut entraîner des effets pervers si elle est mal comprise ou mal utilisée.

Focalisation Excessive sur les Points Plutôt que sur la Valeur

Les équipes peuvent se concentrer sur l’accumulation de Story Points plutôt que sur la livraison de valeur réelle aux utilisateurs.

L’objectif ne devient plus « Comment créer plus de valeur », mais « comment faire toujours plus de Story Point » (note : Nous verrons plus loin comment passer à une vélocité par la valeur).

Comparer la vélocité entre équipes

Le Story Point étant une unité de mesure relative, représentant l’effort à fournir estimé par les Développeurs, peut être variable d’une équipe à l’autre. 2 Story Point pour l’équipe A ne représente peut-être pas la même notion d’effort que pour l’équipe B.

Une des erreurs constantes que font certaines organisations et de vouloir rendre le Story Point uniforme et de comparer la performance des équipes entres elles, ce qui a pour conséquence des comparaisons peu fiable, une mauvaise compréhension des objectifs des Story Points et une pression inutile sur les équipes pouvant amener à des dérives, comme l’augmentation artificielle des estimations afin de plaire au management.

Stress et Pression sur les Équipes

Une attente de livraison basée sur les Story Points peut créer un stress inutile. Les sprints peuvent devenir une course à l’achèvement des Story Points, menant à l’épuisement et à la baisse de la qualité.

Détournement des Objectifs Agile

Une obsession des Story Points peut conduire à négliger les principes agiles de flexibilité et d’adaptation aux changements, en en faisant un outil de gestion rigide, notamment lorsque le Story Point est systématiquement converti en jours/homme ou/et réparti sur le nombre d’équipiers composant les Développeurs (ex souvent vu lors de mes accompagnements : Une équipe Scrum fait 52 points en moyenne, pour une équipe de 5 personnes, cela fait donc 10,4 points/personne. Si une personne s’absente, le management (ou le Scrum Master. … et oui, ça arrive) va retirer 10,4 points de la capacité à faire de l’équipe. On voit bien que ce type de mesure n’est pas cohérent car elle ne tiens pas compte de la séniorité de chaque équipier, n’y du fait que le Story Point reste une estimation relative d’un effort à fournir et non une valeur exacte de durée ou de compétence.

Difficultés dans les Prévisions à Long Terme

Du fait de leur relativité et leur variabilité, les Story Points ne sont pas toujours un indicateur fiable pour la planification à long terme ou les échéances de projet.

Mésinterprétation par les Parties Prenantes Externes

Les parties prenantes non familières avec la méthode Agile peuvent mal interpréter la signification des Story Points, les traitant comme des unités de mesure concrètes.

Certaines organisations peuvent même être amenées à définir le Story Point comme l’unité de mesure de la productivité d’une équipe.

La Vélocité doit faire sa révolution !

Bien qu’amenant à un certain nombre de dérive, la vélocité reste néanmoins un élément de mesure important pour une équipe Scrum, mais doit être totalement revue dans sa mesure et sa gestion.

La vélocité appartient à l’équipe Scrum

Le but de la mesure de vélocité est de permettre à une équipe Scrum de suivre la performance de son activité, en rapport avec les objectifs de Sprint qui ont été définis lors de la Planification de Sprint.

Son objectif est également de permettre à l’équipe d’identifier des obstacles, comme des problèmes dans le processus de création de valeur, ayant comme conséquence une baisse de leur capacité à délivrer de la valeur et une baisse de la qualité du produit délivré.

Mais pour que cette mesure de vélocité reste efficace et pertinente elle doit rester l’affaire de l’équipe Scrum. Aucune ingérence ne doit être permise par le management, ayant pour conséquence une détérioration de la qualité de cette mesure et de ses objectifs.

Mesurer l’atteinte de vos objectifs plus que les points réalisés !

L’équipe Scrum ne doit pas baser sa mesure de vélocité uniquement sur les Story Points, qui de base, n’a pour objectif que de permettre aux développeurs d’estimer l’effort à fournir dans la réaliser d’une demande.

La Vélocité doit plus se rapprocher d’une mesure de la capacité de l’équipe à tenir ses objectifs d’Itération.

Cela peut passer notamment par la mesure de la valeur métier réalisée (Business Value), par rapport aux objectifs définis lors de la Planification de Sprint.

Si vous utilisé un outil de suivi de l’activité, comme Jira, alors il vous suffira juste de créer un nouveau champs « business value » que vous pourrez associer à vos tickets de Sprint et qui permettra au Product Owner de définir la valeur métier apportée par chaque demande associée à l’objectif d’itération.

Utiliser la Vélocité pour identifier les obstacles

Un des apports que doit avoir la vélocité est de vous permettre d’identifier les obstacles que l’équipe peut rencontrer durant une Itération, comme les problèmes de qualité.

C’est pour cela qu’il est rarement conseillé de valoriser les tickets de dette technique (ou anomalie) qui pourrait venir perturber l’activité de l’équipe.

Imaginons une équipe Scrum mesurant sa vélocité sur la base des Story Points

Le graphique de suivi de la vélocité, en Story Point, montre que l’équipe a du mal à tenir ses engagements de Sprint.

Maintenant analysons le même graphique en mesurant le nombre de ticket réalisé durant le Sprint.

Le constat est tout autre. Nous constatons que l’équipe va au-delà des engagements pris en début de Sprint. Si nous ne nous basons que sur cette mesure, alors le management va être très content car l’équipe fait mieux que ce qui était prévue … Youpi !

Or, si maintenant je filtre ce graphique sur les seuls éléments de type anomalie ou dette technique.

Le constat est sans appel, l’équipe systématiquement débordée à chaque sprint par des problèmes de qualité qui lui empêche d’atteindre ses objectifs de Sprint.

Si les anomalies avaient été valorisées en Story Point, ce constat n’aurait pas été possible.

Utiliser le Flow Time pour mesurer la qualité de vos estimations

Comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, la mesure en Story Point reste relative et peut s’avérer peut fiable dans la qualité des projections.

Afin de valider la pertinence de ces estimations, vous pouvez associer vos Story Points à une mesure du temps de flux moyen nécessaire au traitement d’une demande.

Vous pouvez également mesurer le délai moyen de traitement des demandes, à l’intérieur d’un Sprint, afin d’identifier les demandes mettent un temps trop important par rapport à la durée du sprint, mettant en risque l’atteinte des objectifs.

Utiliser la vélocité pour mesurer la Prédictibilité

La Prédictibilité permet de définir le niveau de confiance que l’on peut apporter à l’engagement de l’équipe par rapport à sa réelle capacité à faire (Vélocité).

Par exemple, si une équipe s’engage sur un objectif de réaliser 50 points de valeur métier et qu’à l’issue de l’itération elle en a réalisé 36, alors sa Prédictibilité sera de 36/50*100 = 72%.

Une prédictibilité constamment supérieure à 100% peut être le symptôme d’une équipe qui se sous-engage trop par rapport à sa capacité à faire réelle.

Une prédictibilité régulièrement inférieure à 70% peut être une alerte, soit d’un sous-engagement de l’équipe, volontaire ou contraint, soit d’obstacles réguliers venant perturber leur capacité à atteindre leurs objectifs.

Arrêter d’intégrer la vélocité dans les contrats de prestation

On voit encore beaucoup (trop ?) d’ESN ou d’organisations clientes vouloir intégrer dans leur contrat de prestation la notion d’une performance à atteindre en termes de vélocité en Story Point. Souvent cette injonction est accompagnée d’une pénalité en cas de non-respect.

Tout cela n’a tout simplement aucun sens et va même à l’encontre des intérêts du client.

Lorsque vous intégrer la vélocité en Story Point comme mantra de la performance de l’équipe vous allez créer un effet pervers ou pour ne pas risquer de pénalité, l’équipe peut être amenée (sous la pression de son management) à augmenter son estimation en Story Point pour toujours coller à la Vélocité requise par le contrat, sans créer plus de valeur produit.

Conclusion

La mesure de la vélocité en Story Points, bien qu’utile dans certains contextes, présente des limites significatives qui peuvent paradoxalement entraver les apports qu’elle cherche à promouvoir.

Il est temps de repenser notre approche dans la mesure de la vélocité, afin de se concentrer davantage sur la création de valeur métier et sur l’autonomie des équipes.

L’adoption de nouvelles méthodes de mesure de la vélocité, telles que le suivi de la Business Value ou du Flux, offre une perspective plus riche et plus alignée avec les objectifs finaux de création de valeur produit.

Cette approche favorise une compréhension plus profonde de l’impact réel du travail de l’équipe sur les résultats de l’entreprise, encourageant ainsi une prise de décision plus stratégique et axée sur le client.

De plus, en redonnant la vélocité aux équipes – en leur permettant de définir et de mesurer leur propre performance de manière significative – nous renforçons l’autonomie, la responsabilité et l’engagement. Cela permet aux équipes de se concentrer sur ce qui est véritablement important : la livraison continue de produits de haute qualité qui répondent aux besoins changeants des utilisateurs et du marché.

En fin de compte, en déplaçant notre focus de la quantité mesurée en Story Points vers la qualité et la valeur, nous pouvons réaliser pleinement le potentiel de l’Agile. Ce changement représente une évolution naturelle vers une maturité Agile plus grande, où la vélocité n’est pas simplement un chiffre à atteindre, mais un indicateur dynamique de progrès significatif et de valeur ajoutée.